Vote à l’unanimité du Conseil communal de la motion relative à la prise en compte de la valeur patrimoniale des ascenseurs anciens lors de leur modernisation.
Cette motion fait suite à une interpellation citoyenne du 20 juin dernier et est le résultat d’un travail collectif de l’asbl Save our elevators et des conseillers communaux Anne-Rosine Delbart (DéFI), Nathalie Gilson (MR), Nora Bednarski (Ecolo-Groen) et Geoffroy Kensier (Objectif XL).
L’objectif est de veiller à la mise en place de toute disposition utile pour garantir la sécurité des personnes et des biens, tout en assurant la promotion de la reconnaissance historique des ascenseurs anciens à Ixelles et la préservation de ce patrimoine.
Voici la motion adoptée ce 24 octobre 2019 :
LE CONSEIL COMMUNAL d’Ixelles,
Considérant l’arrêté royal du 9 mars 2003 relatif à la sécurité des ascenseurs, arrêté fondé sur une recommandation européenne de 1995 ;
Considérant que cet arrêté impose aux propriétaires d’ascenseurs un programme de modernisation, dont le déroulement peut être résumé comme suit :
Un service externe pour les contrôles techniques (SECT) effectue une analyse des risques de l’ascenseur, à savoir un examen relatif aux aspects de sécurité listés à l’annexe 1 de l’arrêté royal du 9 mars 2003, « pour déterminer si des mesures de préventions suffisantes ont été mises en œuvre eu égard aux dangers correspondants» ;
Sur la base de cette analyse, un ascensoriste propose un programme de modernisation ;
Le propriétaire procède aux travaux, étant entendu que
-pour les ascenseurs mis en service avant le 1er janvier 1958, les modernisations doivent être effectuées au plus tard le 31 décembre 2022 ;
-pour les ascenseurs mis en service entre 1958 et 1984, les modernisations devaient être effectuées au plus tard le 31 décembre 2016 ;
-pour les ascenseurs mis en service après 1984, les modernisations devaient être effectuées au plus tard le 31 décembre 2014 ;
Le propriétaire fait contrôler les travaux de modernisation par le SECT qui a effectué l’analyse de risques, cet organisme délivre une attestation de régularisation ;
Considérant qu’il est apparu que les ascenseurs à trémie ouverte (c’est-à-dire, donc la cage n’est pas emmurée, mais séparée de la cage d’escalier par des grillages) posaient problème, au regard des critères de l’analyse des risques ;
Considérant qu’à Ixelles, de nombreux ascenseurs se trouvent au centre de la cage d’escalier : une des particularités de ce type d’ascenseur est sa gaine grillagée partiellement fermée, caractéristique relativement commune dans les bâtiments anciens des centres urbains ;
Considérant que, pour ce type d’ascenseur, les SECT ne proposent aujourd’hui que des analyses de risques standardisées – sous forme de checklist – alors que suivant le texte de l’arrêté royal du 9 mars 2003 « l’analyse de risques doit être effectuée non seulement en tenant compte des caractéristiques techniques de l’ascenseur, mais aussi de l’éventuelle valeur historique de l’ascenseur et des caractéristiques d’utilisation spécifique, dans la mesure du raisonnable pour les utilisateurs de l’ascenseur » (annexe 1 de l’Arrêté royal du 9 mars 2003, al. 1er) ;
Que cette seconde méthode d’analyse est connue sous le nom de « méthode Kinney », méthode internationalement reconnue qui prend en considération trois éléments permettant l’évaluation d’un risque : la probabilité, l’exposition et les conséquences ;
Considérant que, outre l’impact sur la valeur patrimoniale des ascenseurs, le recours à l’analyse sur mesure et aux adaptations qui s’ensuivent est beaucoup moins coûteux que les travaux réalisés sur la base de l’analyse des risques standardisées ;
Que pour une mise en conformité d’un ascenseur d’une copropriété de 7 niveaux selon la checklist, il faut compter de 80.000 à 100.000€, dont 40.000€ rien que pour obturer la gaine, alors que, pour le sécuriser avec un peu d’imagination et beaucoup de savoir-faire sur la base de la méthode Kinney, entre 20.000 et 25.000€ peuvent suffire ;
Que cette situation a un impact financier important pour les copropriétés et petits propriétaires concernés ;
Considérant que, au-delà de l’importance de respecter le principe même des règles édictées, et ce, quel que soit le niveau de revenu des personnes impactées, tous les propriétaires n’ont pas les moyens de supporter de tels coûts et l’impact social de la situation ne peut être négligé ;
Que ce sont donc les seuls propriétaires qui subissent cet antagonisme entre le texte de l’arrêté royal et son application par les organismes de contrôle agréé ; ceux-ci ne pouvant communiquer à leurs ascensoristes qu’une analyse standardisée, sans qu’il soit tenu compte de l’intérêt patrimonial et technique de leur installation ;
Considérant que les mesures de sécurité standards suivantes sont préconisées à l’annexe 1 de l’A.R. du 9 mars 2003, à savoir l’« adaptation des gaines avec des parois discontinues lorsque les parties mobiles sont accessibles » et l’« adaptation des cabines avec des parois non fermées lorsque les parties mobiles sont accessibles » ;
Que, en pratique, les SECT et, à leur suite, les ascensoristes, préconisent la fermeture des trémies d’ascenseurs (emmurement, fermeture par des vitres, caissons en inox, …) ;
Considérant que, avant le 1er janvier 2018, des installations modernisées à l’aide de rideaux photosensibles (qui permet d’enfermer la cage d’ascenseur dans un faisceau d’ondes) ont obtenu une attestation de régularisation délivrée par un SECT ;
Que la pose d’un rideau de sécurité électronique permet d’assurer l’arrêt immédiat de la cabine en cas d’interruption du faisceau lumineux ;
Que cette technologie reconnue permet d’éviter un emmurement physique des trémies d’ascenseurs, préservant tant la sécurité des usagers que la valeur patrimoniale de l’installation ;
Que, depuis le 1er janvier 2018, le SPF Economie exige que ces rideaux électroniques disposent du marquage CE en tant que composants de sécurité ;
Considérant qu’aucun fabricant au monde ne dispose de ce marquage CE et que, dès lors, l’utilisation de ces dispositifs par les ascensoristes est remise en question par les SECT qui ont donné pour instruction de ne plus en placer ;
Considérant par conséquent que les propriétaires de ces ascenseurs sont donc face à un dilemme : soit ils emmurent leur installation, soit ils devront mettre leur ascenseur à l’arrêt le 31 décembre 2022 ;
Considérant l’intérêt patrimonial de ces ascenseurs et l’intérêt pour la commune de Ixelles de le préserver ;
Que de trop nombreux immeubles Art Déco, Néoclassiques, Beaux-Arts,… situés sur le territoire de la commune d’Ixelles ont déjà été privés de leur bel ascenseur ancien, en bois mouluré, équipés de glaces biseautées et d’une applique en verre ou cristal taillé ; que ces ascenseurs faisaient partie intégrante de l’immeuble qu’ils équipaient, et leur style généralement en adéquation avec l’architecture du hall d’entrée ; que beaucoup d’entre eux ont cependant été remplacés par des équipements modernes, qui ne présentent plus aucune harmonie avec le style de l’immeuble ;
Considérant les enjeux de sécurité et de stabilité dont la commune et le bourgmestre sont les garants ;
Que les exigences des SECT visant à fermer les gaines d’ascenseur à l’aide de panneaux de verre feuilleté épais peuvent avoir un impact sur la stabilité des immeubles concernés ;
Que, selon les professionnels consultés par des propriétaires d’ascenseurs, le poids de telles installations est évalué à environ 600 kilos par palier ; que, structures comprises, l’on ferait ainsi supporter aux fondations d’un immeuble de cinq étages (soit six niveaux) un dispositif de près de 4 tonnes ;
Que les immeubles anciens concernés n’ont pas été conçus pour supporter de telles modifications structurelles qui pourraient, le cas échéant, mettre en péril la stabilité du bâti ;
Considérant que la commune d’Ixelles doit être attentive aux conséquences néfastes de l’application standardisée des dispositions de l’arrêté royal du 9 mars 2003, que cela concerne les enjeux patrimoniaux, de sécurité et de stabilité des bâtiments ou sociaux ;
Considérant la déclaration de politique générale commune au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale et au Collège réuni de la Commission communautaire commune pour la législature 2019-2024;
Considérant que cette déclaration énonce la volonté du Gouvernement régional de réaliser un inventaire des ascenseurs anciens à valeur patrimoniale en collaboration avec les communes et encouragera les filières de formation d’ascensoristes spécifiques à leur préservation ;
Considérant l’intérêt d’établir un tel inventaire de ces ascenseurs anciens à valeur patrimoniale à l’échelle régionale afin de mieux qualifier ce patrimoine particulier, à la fois témoin de l’histoire de l’architecture et de l’histoire des techniques ;
Considérant que ces ascenseurs sont l’expression d’un savoir-faire exceptionnel et constituent un patrimoine culturel immatériel remarquable – en grande partie propre à Bruxelles et tout spécialement à Ixelles qui figura parmi les premières communes à encourager la construction d’immeubles à appartements;
Que la mise en évidence de ces parcs d’ascenseurs anciens devrait susciter l’intérêt des ascensoristes pour le développement et la mise en œuvre de techniques de modernisation adaptées à la conservation du patrimoine ;
Que cela amènerait davantage d’ascensoristes à se former à ces techniques respectueuses du patrimoine et permettrait aux copropriétaires de trouver plus facilement des professionnels compétents et disponibles pour répondre à leurs demandes ;
Considérant que si l’on ouvre aujourd’hui ces filières de formation spécifiques et que l’échéance de la mise aux normes est maintenue au 31 décembre 2022, il ne sera pas possible de moderniser tous les ascenseurs concernés en garantissant sécurité et préservation du patrimoine ;
Considérant qu’il est impératif que la conception d’origine et esthétique de ces ascenseurs soit respectée et que les solutions techniques se focalisent sur les risques réels auxquels les utilisateurs sont exposés lors d’un usage normal de l’ascenseur. Les solutions doivent se focaliser sur ce critère. Ces solutions existent et devraient être appliquées afin d’assurer la sécurité et le respect des éléments patrimoniaux plutôt que de les amputer ou les remplacer.
Ayant entendu l’interpellation citoyenne lors de sa réunion du 20 juin 2019 ;
DEMANDE
au Collège des bourgmestre et échevins
de prendre toute disposition utile pour préserver le patrimoine et garantir la sécurité des personnes et des biens ;
de promouvoir la reconnaissance historique des ascenseurs anciens à Ixelles
1/en transmettant l’inventaire existant des ascenseurs à valeur patrimoniale à la Région de Bruxelles-Capitale et en demandant à celle-ci de délivrer une attestation de valeur historique aux co-propriétés concernées, tout en veillant à compléter l’inventaire par une enquête menée auprès des co-propriétés ;
2/en organisant au sein de la Commune une séance d’information pour les propriétaires d’ascenseurs ;
3/d’inviter le SPF Economie, le Président des SECT et le service Patrimoine de la Région de Bruxelles-Capitale à une visite d’un ascenseur historique et d’y associer les responsables du patrimoine des autres communes de la Région de Bruxelles-Capitale afin d’adopter une position coordonnée des communes bruxelloises vis-à-vis du niveau fédéral ; au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale ;
4/de mettre les moyens nécessaires en termes de personnel et de logistique afin d’établir un inventaire régional d’ascenseurs anciens en collaboration avec les communes ;
5/d’encourager les filières de formation d’ascensoristes spécifiques à la préservation des ascenseurs anciens à valeur patrimoniale ;
6/d’intervenir auprès du Gouvernement fédéral et plus précisément auprès du Ministre de l’Economie et du SPF Economie pour s’assurer que le groupe de travail “ascenseurs historiques” de la Commission Sécurité des Consommateurs se réunisse mensuellement et inviter chaque fois un représentant du service patrimoine régional.
au Gouvernement fédéral :
1/de mettre en place des solutions techniques augmentant la sécurité tout en respectant la valeur patrimoniale des anciens ascenseurs ; de demander au Gouvernement fédéral et plus précisément auprès du Ministre de l’Economie et du SPF Economie de réunir mensuellement le groupe de travail “ascenseurs historiques” de la Commission Sécurité des Consommateurs, et d’y inviter chaque fois un représentant du service patrimoine des trois régions ;
2/de donner les moyens aux SECT de réaliser des analyses de risques adaptées aux ascenseurs patrimoniaux d’avant 1958 ;
3/de revoir son exigence d’imposer un marquage CE sur les rideaux électroniques et permettre ainsi aux ascensoristes d’y recourir à nouveau ;
4/à la Secrétaire communale, de communiquer la présente motion aux 19 communes bruxelloises, au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale ainsi qu’au gouvernement fédéral et aux gouvernements wallon et flamand.
Plus d’informations :
Presse :
Ixelles vote une motion pour préserver les vieux ascenseurs – La Capitale – 26.10.2019
Ixelles veut préserver ses vieux ascenseurs – BX1 – 28.10.2019
Ixelles vote la prise en compte de la valeur patrimoniale des ascenseurs anciens – DH – 28.10.2019